Gorgona

Je refermais cette note de l'académie sur 'la vie des grands capitaines", je notais quelques phrases de Nepos sur une feuille parcheminée quand ma soeur entra dans le péristyle. Elle me regarda tranquillement pendant quelques instants, jouant avec ses cheveux de jeune femme encore libre, elle me prévint alors que les cuisiniers venaient de poser les plats dans l'ancien Atrium de la maison. Souriant et sentant le poids de la faim, je me dirigeais vers elle et je la suivis en direction du coeur de la maison.

L'Atrium était classique et datait de plusieurs siècles, bien des générations de Valerii avaient préserver la grandeur de la maison. Au centre, se trouvait une statue de la déesse Aphrodite nue, naissant dans une rose pourpre née du sang du Dieu Neptune ; une vipère noire (symbole de la tentation) semblait s'être contorsionnée autour de la cuisse de la déesse. Elle siégeait dans un grand bassin qui recueillait les eaux de pluie du printemps, cet ensemble était rénové chaque année, ainsi que les grandes mosaïques entourant le bassin, qui représentaient le prélude de l'Illiade : "la vengeance d'Eris, déesse de la discorde". Différentes tables étaient déjà présentes avec différents mets posés sur des draperies orangées, mes deux soeurs étaient déjà à parler des nouvelles de la ville et des prochaines festivités, je souriais devant leur côté ingénue. Levant la tête pour apprécier les rayons ardents du soleil, je bus une lampée de ce vin frais venant de nos terres dans le sud de Constantinople...

Alors que je m'apprêtais à retourner au péristyle, un serviteur vint me prévenir qu'un soldat de la garde des Arithmoï me demandait dans le hall d'entrée. Posant mon verre sur l'une des tables, je fis un signe de tête au serviteur et le suivis d'un bon pas. Dans le hall, un soldat attendait effectivement, il portait les signes de mon régiment, je lui fis signe de s'approcher.... C'est ainsi que j'appris que j'étais demandé par le Drongaire en personne. Lui répondant que je serais présent dans une demi-heure, j'ordonnais à mes serviteurs de me préparer ma tenue militaire.

(...) Marchant dans le couloir, les paroles du Drongaire résonnait encore dans ma tête, je ne cessais de regarder le rapport étrange qu'il m'avait remis. L'importance de cette affaire touchant peut-être à la sécurité de l'Etat et de l'Empereur me rendit mal à l'aise. Il fallait réfléchir et vite à une solution pour se sortir de ce guêpier, mais plusieurs questions taraudaient mon esprit : Pourquoi moi ? Pourquoi envoyer un simple capitaine dans une affaire aussi sensible demandant un doigté politique particulier ? De plus, je ne m'étais jamais vraiment caché de mon engouement pour l'ancienne dynastie ; sans compter que l'on m'imposait des "collaborateurs". Pris dans mes pensées, je ne vis même pas mon vieil ami devant moi, et d'un trait d'esprit bien senti, il me rappela sa présence. Je l'informais que je ne pouvais discuter avec lui plus longtemps, une affaire que le Drongaire venait de me confier.... Voyant sa tête un peu surprise, j'éludais les questions potentielles en lui précisant que j'étais pressé. Je continuais donc mon chemin, sentant le regard de mon vieil ami sur mes épaules. Je n'entendis rien, et ce silence me valut la plus grande des considérations. "Aiolos...Il comprendra" Pensais-je avec un sourire carnassier, regardant autour de moi, je vis des soldats qui s'écartaient, il est vrai que je n'avais guère bonne réputation pour ma bonne humeur, surtout quand mon visage exprimait de tels sentiments.

M'étant renseigné sur le lieu du rendez-vous, je rentrais dans une des grandes salles du palais. Les grandes tentures pourpres donnaient encore plus d'éclat au porphyre des grandes colonnades, des mosaïques ornaient les murs et plusieurs personnes marchaient en semi-cercle au milieu de la pièce... D'un simple geste de la main, je les saluais. Je me rendis compte que toutes mes espérances étaient dépassées : un Vénitien ; un Gênois ; un apprenti potier ; un juriste arménien ; un Médecin ; un orfèvre et un Cathare. Je les écoutais se présenter, mais je ne vais pas salir ces pages pour écrire des noms que j'aurai oublié demain. Pas de doute, j'étais heureux de tant de "bonté" de la part des Seigneurs de cette ville.

Après ces salutations d'usage, nous étions tous dans le même bain mais je me tus devant cette réalité. Cependant, si le Vénitien se montrait assez sage (ou hypocrite) pour ne pas créer de problème, il n'en allait pas de même avec le "corsaire" Gênois. Il semblait mal embouché et hautain, je me demandais pourquoi nous avoir affublé d'une personne aussi rustre et qui venait d'apprendre à lire en chemin, pas de doute, les Génois sont des génies pour apprendre si vite !

Le rapport fût lu avec attention. Nous apprîmes qu'un certain nombre de disparitions ou de crimes avaient eut lieues depuis le 16 janvier 1196. Ces disparitions se caractérisaient par la mise en place de statue à la grecque, dans le sens où ces statues étaient des copies conformes des disparus. A ce trait commun, chacune d'entre elle portait un étrange anneau de couleur bronze avec des inscriptions étranges ; toutefois, une des statues éveilla notre attention, un enquêteur du nom d'Andreas Zeus n'avait plus cet anneau et ses autres possessions, et une question subsidiaire me vint à l'esprit : Cet homme enquêtait-il sur ces affaires ? Je dois avouer que j'étais perplexe et un peu perdu devant ce genre de crime. Un peu interloqué, nous devions regarder ces statues de plus près, j'obtins la possibilité d'aller dans une ancienne église du palais, sous la garde de la Tagma des Nouméroî, et arrivant devant les statues, l'idée germait dans la tête de notre potier (avec du recul, très érudit pour un futur artisan tout de même ! Je me demandais à ce moment là si je ne devais pas me mettre à la poterie à mon tour !!!) qu'elle ne pouvait pas avoir été sculpté par l'Homme. De mieux en mieux ! Et pourquoi pas la Gorgone Medusa sortant de son antre pour se promener dans les rues de la Nouvelle Rome !

Plus sérieusement, en y regardant de plus près, on se rendit compte que la statue d'une jeune femme à priori très belle, était abîmée ; comme si on lui avait tiré les cheveux avant d'en faire une statue de pierre, ses cheveux un peu hirsutes pouvaient peut-être l'attester, le rapport que nous avions sous nos yeux lui donnait le nom de Zoi (Zoé). Elle était habillée comme une dame de la Cour ou une servante de haut rang.
Alors que l'on méditait sur tout cela, le Vénitien semblait observer avec un sourire amusé deux membres de notre petite communauté, je regardais dans son sens, je vis alors notre Arménien et notre Toulousain (une ville obscure du nom de Toulouse remplie d'hérétiques aux dernières nouvelles) rire aux éclats à des blagues salaces. Je baissais la tête en faisant des respirations, lourde et calme, pour la première fois depuis des années... Après cela, nous constatâmes que deux statues avaient une autre nature, les deux statues qui étaient dans les quartiers latins semblaient avoir été sculptées selon une autre méthodologie, si on avait voulu impliquer les Italiens, on n'aurait pas fait autrement. Cependant, je me fis immédiatement la réflexion que c'était aussi une bonne méthode pour rentrer dans cette enquête pour une bonne raison officielle, je devais garder cette possibilité en mémoire... L'orfèvre proposa alors de reprendre les anneaux une fois qu'il aurait récupéré ses outils, il proposa en outre d'enquêter sur l'environnement du premier disparu. Nous acceptions sa proposition, ce jeune orfèvre semblait prometteur...

Une fois notre forgeron revenu avec ses outils, nous récupérions tranquillement les anneaux sans toucher la pierre des statues. Au recto des anneaux, nous vîmes une inscription dans une ancienne langue de type "cunéïforme" (akkadien/sumérien) et grâce aux "bons contacts" de l'apprenti potier, nous apprîmes qu'il s'agissait du mot "Pazuzu", le roi démon des vents dans les anciennes mythologies, selon certains textes que j'ai pu lire autrefois. Une fois la surprise passée, on se regarda pendant un moment dans la plus grande introspection. Je pris la décision de garder un anneau et de confier un second morceau au Vénitien...

Nous nous séparions alors, la nuit étant bien tombée.

Le lendemain matin, une fois réuni entre nous, j'appris que notre forgeron avait pu obtenir des informations sur une organisation d'hommes qui ne semblait pas apprécier notre enquête aux abords de l'ancienne maison des Khirilos, la famille qui avait été massacrée avec la disparition du "premier statufié". En plus, cette secte agissait près de l'aqueduc des Valens, nous pouvions craindre le pire.
Notre Vénitien, un homme qui a des idées et que j'apprécie pour son sens de l'à-propos contre notre juriste Arménien - je dois avouer que j'avais le même sentiment que lui, pour ce roi sourd aimant les blagues vaseuses -, qui refusait de nous aider avec une partie de son anatomie, son cerveau ! Je ne sais pas ce que l'Arménien avait dit au Toulousain, mais ce dernier ne s'en remettait pas... Enfin bref ! Je m'égare ! Notre Vénitien proposa de tendre un piège aux hommes de cette organisation, ce qui fût fait avec célérité. Une fois un homme "pris", nous fûmes surpris de nous rendre compte que cet homme avait la Peste, une sorte de peste bubonique qui était dans un état stable.

Voilà, deux jours avec des hommes que je commençais à apprécier mais certains se dépréciaient si vite....

Shinlo a écrit:Excellent résumé également, on y voit clairement la psychologie du personnage et les faits sont contés avec style

3 pex